Je m’en souviens comme si c’était hier… Janvier 2025 , sortie ski de rando avec les amis… la nouvelle tombe, la montre vibre… « Bravo Pascal, vous avez été déclaré positif à l’UTMB ! » Émotion de joie, je me souviens encore des larmes de bonheur versées pour mes arrivées sur la place de l’Amitié lors de la TDS en 2013 et la CCC en 2023 ! Je me souviens aussi avoir dit et répété « Deux nuits, c’est même pas en rêve ! » Et bien effectivement ce ne sera pas qu’un rêve, c’est un défi qui s’annonce, et je suis prêt à le relever ! Maintenant il faut élaborer un « plan de bataille », se projeter, ne pas se précipiter ,construire des bases solides pendant ces huit mois à venir , pour ne rien avoir à regretter… Alors vient le printemps et commencent les sorties plus longues, les randos à rallonge, les trails longs… Surtout ne pas se blesser, la forme est là, le volume augmente, l’envie toujours pressante… Que du bonheur ! Et puis, parce qu’on ne se refera pas, la course de trop , le genou qui dit »Stop !!! »…
Alors on se dit que ça va vite revenir, c’est juste une « pause salutaire » qui fera du bien … Mais le moral est touché, on « bricole » à l’entraînement, on fait genre « ça va y faire ! » Un premier forfait sur un gros TRAIL, un abandon sur un second… Il paraît que ça fait partie intégrante d’une préparation à un Ultra… On se console comme on peut ! Et puis on arrête de s’écouter, des UTMB « Y’en aura pas deux ! » Alors on se ressaisit , on prend les mesures justes, on s’adapte et « par magie » ou « par volonté » ou tout simplement parce que le temps et l’entraînement font leurs effets, le ciel s’éclaircit…
Un peu comme « quand j’étais jeune », souvenez-vous ce cavalier qui surgit du fond de l’azur, rassurez-vous je ne me suis jamais pris pour Zorro, par contre il avait un fidèle serviteur « Bernardo » dévoué et terriblement efficace », et bien figurez-vous que je l’ai aussi rencontré , il existe, il s’appelle « Pedro » et c’est aussi grâce à lui que je suis en mesure de vous raconter cette aventure !
En plus de mon fidèle serviteur, toute l’équipe de Rémi Hurdiel ( Professeur-Chercheur-expert sur le Sommeil à l’Université de la Côte d’Opale) sera présente lors de 5 points d’assistance, pour tester ma réactivité, mon état de fatigue et me permettre de mettre en pratique la formation « Étude sur le sommeil ou l’art de faire la sieste pendant un Ultra » reçue quelques mois auparavant à Chamonix. Quelle drôle d’idée ! Une formation pour faire la sieste ! Moi qui m’entraîne comme un forçat depuis 2 ans !
Il ne me reste qu’à préparer mon sac… mes sacs puisqu’une première assistance aura lieu aux Contamines, une seconde à Courmayeur et une troisième à Champex… Pas si simple cette affaire… Que prendre ? Que ne pas prendre ? Et si je prenais… ? Oh ! J’ai failli oublier… ! Ça va jamais rentrer… ! Et puis merci les copains pour le prêt des frontales… ! Quant à la nutrition, du grand n’importe quoi… de quoi alimenter un ravito lors du Off d’OFF COURSE ! Si vous avez besoin…
Tout ça pour dire qu’une fois achevés les préparatifs, les multiples couches mises sous vide, les gants Mappa essorés, le sifflet retrouvé, les bâtons huilés, les chaussures décrassées… et j’en passe… il n’y a plus qu’à apprendre par cœur ses horaires de passage, que de toutes façons on ne respectera pas…
Les jours d’avant, on devient « expert météo », Evelyne Dheliat n’a qu’à bien se tenir, parce qu’on ne maîtrise rien du tout, mais on se rassure, on cherche l’éclaircie parmi lés cumulonimbus, d’ailleurs ne dit on pas « TRAIL pluvieux, TRAIL heureux… » ? Euh ! Pas sûr…
Toujours est-il qu’il faut rester positif ! Ils annoncent une première nuit « dantesque » avec pluie,vent, neige, boue et froid ! Qu’à cela ne tienne, on se prépare en conséquence… la deuxième partie de course n’en sera que plus belle !
17h45, place du Triangle de l’Amitié, « Conquest of Paradise » de Vangelis retentit dans les hauts- parleurs, l’émotion se lit sur tous les visages, on y est enfin !
J’ai tellement rêvé de ce moment , c’est comme un aboutissement, une délivrance…Je suis là, avec mon dossard 1415, parmi 2500 autres, prêt à aller au bout de cette aventure.
Comme convenu avec « coach Philippe », rien ne sert de s’affoler, je me place dans le dernier tiers du peloton… Mon objectif est là devant moi, cette arche à franchir après avoir fait le Tour du Mont Blanc , soit 176 km et 10000 de D+, rien de plus, rien de moins, c’est clair dans ma tête, je suis là pour ça , je me suis programmé, j’ai 46h30 pour m’accomplir dans cet effort !
J’avance parmi ce flot multicolore, j’aperçois Nathalie, dernier sourire avant la nuit, les premières gouttes de pluie s’abattent dans les rues de Chamonix, j’entends Manu et Nathan qui scandent mon prénom et c’est parti… direction les Houches avant la nuit, St Gervais et j’aperçois l’ami Pedro en VTT, les Contamines où je revêts ma parure de nuit, pyjama imperméable et bonnet de nuit étanche préparés avec soin par mon « Bernardo » du soir… Et puis Notre Dame de la Gorge, où sont venus m’encourager Mathéo, Joana et Paul avant que je ne m’engouffre vers les sommets ténébreux et hostiles… Peu importe, cette nuit je suis « Robocop », rien ne peut m’arrêter, je fais abstraction des éléments, j’avance, à mon rythme, malgré la boue, la pluie, la neige…sans stress, sûr de moi, car je sais que demain sera un autre jour ! Col du Bonhomme… les Chapieux… col de la Seigne … 5 heures du mat, le temps s’écoule, les flocons coulent, les kils défilent, les chaussures glissent… le moral est bon, le jour frémit laissant les premiers rayons du soleil illuminer le lac Combal, l’Italie me tend les bras…Et puis ça y est, J’aperçois Pedro sur les hauteurs de Courmayeur qui vient à ma rencontre… trop fort le bonhomme ! Courmayeur, c’est comme le bout du tunnel, une deuxième course qui commence ! Repos bien mérité, bouillon vermicelles avec l’ami Pedro , test « sommeil » avec l’équipe de Rémy , vigilance au Top, même pas fatigué, j’échange mon pyjama étanche contre une tenue estivale, j’ assortis de nouvelles chaussures et me voilà prêt pour une deuxième course ! Exactement comme Philippe l’avait prédit…Trop fort le Philippe … Bertonne…Bonatti…Arnouvaz… Grand col Ferret… Il fait beau, il fait chaud, les paysages sont sublimes, la forme est là, et devinez qui j’aperçois dans la montée du col Ferret… Mais Oui ! C’est encore Bernardo ! Que du bonheur ! Un petit bout de descente ensemble et direction Champex… La Suisse me tend les bras ! La nuit tombe, les lucioles scintillent dans la nuit, j’accélère le pas dans la montée pour retrouver Mathéo et Paul qui m’attendent. Ça y est Champex me voilà ! Gros ravito, gros bouillon avec beaucoup de gros vermicelles et toujours mon petit ange gardien ! L’équipe du Sommeil est là, test de vigilance et de réactivité, je suis encore très réactif mais l’attention a perdu de son intensité… Je vais tenter la sieste… j’ai tenté… me suis retourné 50 fois sous la couverture…en vain… Allez, on y va, direction Trient… Jusque là tout va bien ! Grosse montée à la Giète et descente sur Trient… et puis … Ah, oui c’est vrai je ne vous avais pas dit, ça fait 3 mois que mon genou droit « couine » sérieux, la vieillerie qu’ils ont dit , de l’arthrose qu’ils ont vue… seulement là c’est pas le droit qui couine, c’est le gauche… la poisse ! Trient est là, Pedro aussi avec la team du sommeil ! Tests effectués, un peu moins de réactivité mais encore bien éveillé. J’essaie néanmoins de dormir un peu, beaucoup, à la folie… finalement ce sera « pas du tout ». Allez, direction Vallorcine, le jour se lève chez les Helvètes ! Petit mot de Pedro « Oublie ce genou, t’en as vu d’autres ! » Petit conseil mais qui restera ancré « profond dans mon cerveau… Le jour se lève, la montée aux Tseppes se fait dans la douleur, le genou gauche « supplie » à chaque foulée , je fulmine en me « traînant », des traileurs peu gaillards eux aussi me doublent, ça ne peut pas durer, pas finir comme ça !!!
Alors, je m’arrête, j’arrache les bandes de kinesiologie qui ornent mes genoux, j’enfile 2 genouillères tout droit sorties du fond de mon sac, troque mon « collant de nuit » et ma seconde couche contre une tenue d’été ( quelle garde-robe !) et cesse de ruminer ! Et là, quel kif ! Plus de douleurs au genou, une envie folle de repasser tous ceux qui m’avaient dépassé en me demandant si cela allait , je rentre dans un état second, et dévale ainsi jusqu’à Vallorcine ! Que du bonheur ! Cerises sur le gâteau, outre Pedro, m’attendent Nathalie, Paul, Mathéo, mais aussi Jocelyn et Lolo, les deux compères qui m’ont donné le virus il y a 20 ans de cela lorsque j’ai débuté la course à pied ! Un dernier bouillon, un grand MERCI à Bernardo qui m’a soutenu tout au long de cette aventure et qui doit regagner son bercail et me voilà reparti, plus fringant que jamais, un moral d’acier et une envie folle de profiter jusqu’à Chamonix. La Flégère , me voilà ! Même pas peur ! Je prends l’allure et ne me ferai plus doubler jusqu’à Chamonix ! Dernier test du sommeil rapidement expédié à la Flégère et me voilà parti pour une descente à la Courtney ! Quel bonheur ! Soleil sur Cham, 14h00, le public est là, « Allez Pascal ! Go !Go ! Bravo !… « Trop fort Zorro ! » !!! Et dire que demain, tous ces gens fort sympathiques ne te salueront peut-être même pas en te croisant ! Alors on profite ! Et puis il y a l’arche, le graal, le ce pourquoi on a bataillé pendant 8 mois… il y a Ludo au micro… il y a Nathalie, Paul, Mathéo , Lolo, Jocelyn, Rémi et les autres…il y a cette place de l’amitié qui porte si bien son nom en ce jour et il y a moi…silencieux, heureux, sensation du rêve accompli, fin d’une belle aventure, envie de partager, envie de tout garder…
Post scriptum :
Paradoxe extrême, Je n’ai pas dormi pendant ces 44 heures alors que je participais à l’étude sur le sommeil et à l´apport positif des siestes sur un Ultra. Par contre, Nathalie pourra confirmer que je n´ai pas eu le temps de lire le panneau CHAMONIX à la sortie de la ville.